Remédiation des troubles de la cognition mathématique chez l’adolescent

 

« …penseurs sont gens qui repensent et qui pensent
que ce qui fut pensé ne fut jamais assez pensé ».
Paul Valéry


Aujourd’hui, les orthophonistes parlent encore trop souventde ce domaine sous le terme familier de « logico-math », expression dérivée de l’approche structuraliste qui avait été développée par Piaget et ses collaborateurs au cours du XXe siècle. L’influence des mathématiciens du groupe de Bourbaki, dans les années 50, fut indéniable et leur point de vue théorique sur la notion de structure était par ailleurs très à la mode dans le monde francophone des sciences humaines (notamment suite à la parution en 1949 par l’anthropologue Lévi-Strauss de l’ouvrage Structures élémentaires de la parenté). La rencontre de Piaget avec ces mathématiciens (lors d’une conférence en 1952 intitulée « Structures mathématiques et structures mentales ») lui suggéra l’existence potentielle d’une relation directe entre les structures dans les processus cognitifs chez l’enfant et les structures-mères mathématiques. Mais nous savons maintenant que les structures logico-mathématiques ne sont pas les seules à gouverner les opérations intellectuelles de l’enfant et que le fonctionnement cognitif doit pouvoir s’analyser en contexte de situation sans référence ni à la notion de structure ni à celle de stade opératoire. Ainsi, en 2017, le modèle structural du développement opératoire n’est plus guère défendable dans sa conception holistique (Grégoire, 2008), alors que les notions épistémologiques de schème, d’invariant, de conservation, de fonction sémiotique, ou encore d’activité assimilatrice gardent toute leur pertinence pour analyser les comportements et comprendre les dysfonctionnements cognitifs de l’enfant.
Il nous faut aujourd’hui dépasser la notion de logico-mathématique et s’intéresser au domaine plus large et plus complexe de la cognition mathématique. Cet élargissement théorique a d’ailleurs été validé dans le programme de la formation initiale du Master en Orthophonie. Cette nouvelle appellation conforte ainsi notre point de vue et la démarche rééducative qui en découle se doit donc d’être rigoureuse en profitant d’une approche multidisciplinaire intégrant des disciplines comme la neuropsychologie, la psychologie du développement, la psychologie cognitive, la linguistique et la didactique des mathématiques. Le mot cognition désigne la pensée, l’intelligence au sens général des connaissances et des opérations mentales d’une personne. En lui accolant le terme mathématique, nous faisons référence à l’implication de nombreuses fonctions cognitives qui participent à la construction de l’ensemble des notions mathématiques. De plus, nous pensons que le cadre conceptuel encadrant les apprentissages mathématiques a suffisamment évolué pour que les cliniciens envisagent dès à présent non seulement une « théorie de l’intervention » (De Corte & Verschaffel, 2008), mais aussi une« théorie de l’instrument » (Ménissier, 1997), où seront pensées à la fois les modalités d’intervention thérapeutique et la méthodologie de l’utilisation des instruments d’intervention.  

Bibliographie
Barouillet P., & Camos V., (2006). La cognition mathématique chez l’enfant, Solal, Marseille.
De Corte E., & Verschaffel L., (2008). Apprendre et enseigner les mathématiques : un cadre conceptuel pour concevoir des environnements d’enseignement-apprentissage stimulants, in Crahay M., Verschaffell L., De Corte E., & Grégoire J., Enseignement et apprentissage des mathématiques, Bruxelles, De Boeck Université, p. 25-54.
Grégoire J., (2008). Développement logique et compétences arithmétiques. Le modèle piagétien est-il toujours actuel ?, in Crahay M., Verschaffell L., De Corte E., & Grégoire J., Enseignement et apprentissage des mathématiques, Bruxelles, De Boeck Université, p. 57-77.
Houdé O., & Meljac C., (2000). (Ed) L’esprit piagétien : hommage international à Jean Piaget, Paris, P.U.F.
Ménissier A., (1997). Du préfixe RE comme paradigme du changement (notes pour une épistémologie de l’acte de rééducation), Rééducation Orthophonique, Vol. 35, n° 191, 289-308.

Ménissier A., (2014). Du glissement de l’appellation logico-mathématique à celle de cognition mathématique : quelles incidences sur la prise en charge des troubles ? Actes des Entretiens de Bichat, 151-171, Paris, Europa Digital & Publisching.
Revue Pour la Science, Dossier n°2 les génies de la Science, Bourbaki, une société secrète de mathématiciens, Trimestriel Février-Mai 2000.